Desjardins est en transformation. La coopérative financière a depuis peu un nouveau PDG, Guy Cormier, qui s’est dès le début donné un mandat ambitieux que l’institution redevienne « première » dans le coeur des Québécois. Il entrevoit son mandat comme un retour aux sources, aux valeurs fondamentales de la coopérative. Il affirmait lors de son élection : « Desjardins a déjà été premier dans le coeur des gens, je veux qu’il le redevienne. » Ce n’est pas une petite affaire, car il semble indiquer un désir de redonner une image de Desjardins comme une institution pas seulement centrée sur le rendement financier, mais, dit-il, « l’argent doit être au service des membres et des communautés, et jamais le contraire ».
Le projet est ambitieux et requiert de nombreuses transformations. Pensons entre autres à la réforme des structures démocratiques et la distribution de la ristourne; deux enjeux intimement liés dont je ne vais discuter que partiellement aujourd’hui. Ne pouvant démêler ristourne des enjeux démocratiques et politiques, je vais essayer de résumer mon propos à une présentation succincte de la nature de la ristourne et de ses conséquences.
Dans un récent article incluant une entrevue vidéo, il est question de changer la manière de distribuer les excédents de l’organisation coopérative. Ce n’est pas la première fois que la ristourne est un enjeu de discussion. Quelques années avant, il était question d’explorer ce qu’il fallait préférer entre la ristourne individuelle et la ristourne collective. Encore une fois, l’enjeu refait surface, mais sous une nouvelle forme. C’est cette dernière forme que nous explorerons, car, comme le dit M. Cormier : « Tout est sur la table. »
Qu’est-ce qu’une ristourne?
La réponse à la question : « Qu’est-ce qu’une ristourne? » peut sembler évidente. C’est un retour en argent direct de la part de la coopérative au membre. Dans cette entrevue, Gérald Fillion exprime clairement ce point. Cependant, c’est une perspective assez réductrice qui ne permet pas de saisir son objet. La ristourne, c’est non seulement ce retour en argent, mais aussi les choix stratégiques, politiques et sociaux.
Desjardins, comme le dit bien M. Cormier, doit servir ses membres et les intérêts des membres ne sont pas seulement le retour direct en argent, ce qu’on appelle la ristourne individuelle, mais bien d’autres choses. Certains membres dans les régions préfèrent peut-être moins recevoir d’argent, mais veulent garder leurs points de services. D’autres veulent mettre en communs petits retours individuels pour en faire profiter les organismes des quartiers. On pourrait aussi considérer la structure des prix ou la qualité des produits comme une forme de ristourne ou même le choix des différents bureaux de l’institution comme une forme de retour aux membres. Les variantes sont nombreuses et diverses. Il serait possible que Desjardins arrête de ristourner directement aux membres pour favoriser l’amélioration du service ou le support de projets risqués dans la communauté. On comprendra donc qu’il y a déjà une grande diversité dans la distribution de la ristourne par Desjardins et que le chiffre de la ristourne individuelle ne montre pas clairement l’impact de la redistribution faite par Desjardins (et j’oserais ajouter que la communication de Desjardins sur le sujet a encore du chemin à faire).
S’ajoute à cette variété un enjeu de distribution. Considérant que chaque membre a le même poids formel dans l’organisation, on pourrait s’imaginer que la ristourne devrait être distribuée également entre chaque membre. Or, Desjardins en tant que coopérative financière peut aussi chercher à récompenser les membres au prorata de leur utilisation des services. Cette autre distribution est radicalement différente de la première. Ajoutons à cela les variantes que nous avons évoquées dans le paragraphe précédent et nous faisons face à un réseau complexe d’options parfois contradictoires. C’est l’aspect politique de la ristourne.
L’enjeu démocratique de la ristourne
C’est cette hétérogénéité des intérêts avec lesquels doit interagir Desjardins qui en fait une institution fondamentalement différente. Comme je le dis souvent, Desjardins n’est pas une banque. Sa structure fondamentale force l’organisation à suivre d’autres intérêts que la maximisation du profit pour l’actionnaire. Desjardins n’a pas qu’un intérêt à satisfaire, mais une multitude d’intérêts peu homogène et souvent contradictoire. C’est pourquoi il semble nécessaire d’avoir une démocratie vigoureuse au sein de l’organisation. C’est peut-être aussi pourquoi les médias sont si sévère avec Desjardins. Ils sont conscients que les membres ont des attentes plus grandes envers Desjardins qu’envers les banques, car Desjardins est constitutivement tourné vers d’autres intérêts. Il faut cependant que les membres s’engagent dans cette structure et que réciproquement l’organisation offre des outils démocratiques efficaces (j’en ai déjà parlé ici). C’est d’autant plus nécessaire que M. Cormier évoque l’importance de remettre le membre au coeur de la préoccupation de Desjardins, de retrouver la raison d’être profonde de la coopérative financière et de répondre à celles et ceux qui croient que Desjardins n’est qu’une institution financière comme les autres.