Je planifiais écrire un très bref billet sur l’éthique de l’exploration et la colonisation spatiale, mais un article signé Stéphanie Grammond, dans la presse, a capté mon attention et j’ai eu quelques commentaires à y faire. L’espace ira pour un autre jour, car je vais encore aujourd’hui discuter de coopératives et de Desjardins.
Dans un récent article dans la presse, Stéphanie Grammond présente une situation particulière dans laquelle on retrouve une même institution financière, dans ce cas Desjardins, offrir deux taux d’intérêt différents à deux groupes de clients différents. Le premier groupe sont les membres à part entière de la coopérative québécoise (incluant les membres des caisses hors-Québec). Ce groupe ne se voit pas offrir le taux avantageux dont jouit l’autre groupe. Ce second groupe est composé des clients (donc non membre de Desjardins) d’une banque en ligne récemment acquise : la banque Zag, une banque en ligne faisant affaire partout au Canada sauf au Québec. Le problème est clair et l’article présente bien la perspective « client ». Il est nécessaire d’ajouter à cette analyse une critique sur l’aspect démocratique. Cette critique nous mènera à voir que les coopératives ne sont pas nécessairement démocratiques.
Desjardins est une coopérative financière de consommateur. À ce titre, elle est constituée sur un principe important : l’égalité des membres. Pour réaliser cette égalité et pour la protéger, sont en place des mécanismes démocratiques représentatifs. En tant que coopérative de consommateur, en théorie, tous les clients devraient être des membres. Le problème soulevé indirectement par l’article de Mme Grammond (qui s’intéresse moins à l’aspect démocratique qu’à la perspective du consommateur face aux différents taux) est que le principe d’égalité est mis à mal par le fait qu’il existe au sein même de Desjardins deux sortes de clients. Cependant, ce n’est un problème qu’au regard du principe et non de son application pratique. En effet, rien n’oblige l’institution, dans la forme coopérative traditionnelle,à intégrer l’ensemble des clients comme membre. Même si Desjardins a des membres ailleurs au Canada et même aux États-Unis, elle n’est pas forcée par la forme coopérative à intégrer les clients de la Banque Zag nouvellement acquise à son membership traditionnel. Sans être contraire lois sur les coopératives, ce n’est pas pour autant près des principes coopératifs et démocratiques.
Pourquoi est-ce un problème? Certains pourraient croire que le problème est un problème distributif, c’est-à-dire que le problème résiderait dans le fait que les clients de Zag n’auraient pas accès à la ristourne. N’étant pas membres à part entière, ils ne jouiraient pas de cet avantage distinctif de la coopérative. Ce n’est pas le cas. Ils n’ont certes pas le pouvoir démocratique de contrôler la manière dont les profits de l’institution leur sont retournés comme nous le verrons un peu plus bas, mais le fait qu’ils aient des meilleurs taux est, en quelque sorte, une forme de ristourne (j’ai discuté dans un autre billet de la confusion entourant la nature de la ristourne). Ils reçoivent une part des profits sous une forme différente des autres membres, mais ils ne sont pas pour autant désavantagés. Ce sont les mécanismes de marché qui décident pour eux et leur seul moyen de se faire entendre est la capacité de sortir de la relation avec Desjardins.
Le problème réside dans l’inégalité en termes de pouvoir face à l’institution et dans les moyens de se faire entendre. La force de la forme démocratique coopérative est la capacité qu’ont les membres de pouvoir se faire entendre d’une autre manière que par les mécanismes de marchés (acheter ou ne pas acheter, voter avec son argent autrement dit). Ceux-ci ont de nombreuses faiblesses notamment le fait qu’ils ne donnent pas une même voix à tous également (Malleson, 2014). Même si les mécanismes démocratiques de Desjardins sont imparfaits et lacunaires, il est plus facile de se faire entendre dans cette organisation que dans une autre institution financière qui n’a pas ce genre de mécanisme. Dans le cas d’une coopérative de consommateur, il semble évident que l’ensemble des consommateurs devraient pouvoir se faire entendre démocratiquement. Autrement dit, si on refuse à un consommateur la parole dans une coopérative de consommateur, alors l’idéal démocratiquement s’efface. On peut donc voir que si on considère qu’il est important de démocratiser l’économie en donnant plus de paroles aux individus, aux travailleurs et aux citoyens, alors la forme de la de coopérative de consommateur n’est pas la forme idéale.
Le même genre de limite à la démocratie existe dans la coopérative de travailleur. Celle-ci n’est pas forcée fondamentalement à distribuer le pouvoir et la voix démocratique à l’ensemble de ses travailleurs. Il existe des cas de coopérative de ce genre qui, après avoir atteint un certain nombre de membres, a décidé de réserver le statut de membre à certains et ensuite d’engager des employés non membres par la suite. Ce faisant, créant un groupe de membre-propriétaire très peu distinct des propriétaires actionnaires dans l’entreprise à capital-actions traditionnelle. Le seul moyen de se faire entendre est alors pour les travailleurs de se syndiquer ou de jouer les forces du marché du travail. On peut donc voir que les formes classiques de la coopérative sont potentiellement démocratiques, mais pas fondamentalement ou structurellement.
Ce que j’ai voulu dire jusqu’ici est qu’il serait possible d’imaginer des coopératives non démocratiques, c’est-à-dire des organisations dont la propriété, même si elle également distribuée, ne donne pas accès à des droits démocratiques, mais seulement aux droits sur les excédents de l’organisation. Il me semble risqué de retirer à la coopérative sa caractéristique démocratique et je suis heureux de voir que la majorité des coopératives sont encore très démocratiques et que cet idéal reste près de ses valeurs. Néanmoins, il me semble important de viser une plus grande démocratisation des organisations passant par la création de formes légales d’organisation plus fondamentalement démocratiques. Je pense par exemple à la Société coopérative d’intérêt collectif, un modèle qui, tout en ressemblant à la coopérative de solidarité québécoise, est plus flexible et peut même inclure des représentants des élus publics ou d’autres parties prenantes de la communauté.
Bibliographie
– Malleson, Tom. After Occupy: Economic Democracy for the 21st Century. Oxford University press. Oxford; New York, 2014.