Poser la question de l’organisation sociale des humains qui vivront peut-être un jour dans l’espace implique de réfléchir au type de régime qui sera en place. Tendra-t-il vers la démocratie ou plutôt vers la tyrannie? Pour l’astrophysicien britannique Charles S. Cockell (personnage fascinant s’il en est un), cette question implique d’abord une réflexion sur les moyens de minimiser la tyrannie dans les potentielles sociétés humaines de l’espace par des moyens physiques. Vous devinerez que j’ai rapidement été curieux d’en apprendre plus sur ses idées, car parler en termes de liberté et de tyrannie résonne avec mes cordes républicaines.
Cockell remarque, dans un article intitulé : Extraterrestrial Liberty: Can It Be Planned? publié dans un recueil qu’il a édité sur le sujet, que l’environnement spatial est particulièrement propice à la tyrannie, notamment parce que les individus y sont singulièrement à la merci de choses qui, sur terre, sont encore tenues pour acquises. L’exemple le plus clair est l’oxygène. Ici, aucun tyran n’a jusqu’aujourd’hui réussi à contrôler une population en contrôlant les moyens de se procurer de l’air, mais le contexte des premiers établissements humains extraterrestre invite à penser que ce sera une ressource rare et dont l’accès pourrait être facilement contrôlé par des potentiels despotes. Le fait que l’environnement spatial ne rend pas facile la décentralisation est en soi un risque pour la liberté dans l’espace. C’est pourquoi, selon lui, il est nécessaire de penser à la production matérielle d’outils (comme des moyens de produire de l’air aisément) et d’habitats facilement repliables qui faciliterait la décentralisation.
Pour Cockell, avant même de se poser les questions politiques traditionnelles comme l’organisation politique, le système de gouvernement, de vote, il est nécessaire de réfléchir à son contexte physique, matériel. Pour lui, réaliser la liberté dans le contexte spatial est pour commencer une question d’ingénierie. Il est nécessaire de développer des technologies, des outils facilement disponibles pour les individus vivant dans l’espace.
Lire des écrits de Cockell fut pour moi comme une bouffé d’air, car Cockell n’aborde pas la question de la liberté par la voie des philosophes. Il aborde la question avec le regard d’un scientifique spécialisé dans les questions spatiales. Quand il parle de liberté, il ne se lance pas dans les distinctions communes chez les philosophes entre liberté négative et positive. Néanmoins, sa conception de la liberté semble très près de celle des républicains. En effet, pour lui, le danger du contexte spatial n’est pas l’interférence directe des tyrans dans la vie des individus. Il ne parle pas de despotes venant s’attaquer directement aux individus, mais à l’organisation des moyens physiques qui pourraient limiter la contestation des individus. C’est l’arbitraire potentiel qui le préoccupe. En ce sens, il est très républicain.
Réfléchir sur les enjeux politiques du développement de sociétés humaines dans l’espace requiert un grand nombre de suppositions. Il faut l’humain soit encore moralement et psychologiquement encore celui que nous connaissons aujourd’hui pour se poser la question de la liberté comme il le fait. Il faut que les développements en intelligence artificielle, en robotiques et en informatiques ne le transforment pas radicalement. Cela dit, l’exercice est pour moi plaisant et fructueux.
Bibliograhie
- Cockell, Charles S, « Extraterrestrial Liberty: Can It Be Planned? », dans Cockell, Charles S, dir., Human Governance Beyond Earth Implications for Freedom, 2015.
- Cockell, Charles S, dir., The meaning of liberty beyond earth, New York, Springer, 2014.